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Des balades, des voyages, ici ou là , au jour le jour avec pour seule envie de s'émerveiller encore et encore

Alligny-en-Morvan, les nourrices morvandelles et les Petits Paris (Nièvre -58)

Je me décide, enfin, à plonger au fond de mon dossier "Brouillons". J'y retrouve des articles commencés puis abandonnés, je ne sais pas trop pourquoi. En voici un qui date d'avant le Covid. Il termine une série d'articles sur quelques jours passés à découvrir le Morvan. Pas de photos de lacs et de paysages sauvages mais la découverte d'un passé souvent douloureux qui m'avait à l'époque amenée à faire quelques recherches sur le sujet pour mieux comprendre. Je vous livre quelques brides de ces recherches. 

Tout au long des routes qui nous ont menés de lacs en lacs, nous avons remarqué de curieuses formes bleues plantées ça et là dans les champs et sur les talus. Naïvement, je m'interrogeais sur leur signification sans imaginer ce que j'allais découvrir.

C’est en arrivant dans le petit village d’Alligny-en-Morvan que je comprends le sens de ces silhouettes bleues. Un grand bâtiment qui longe la route, abrite le « Musée des Nourrices morvandelles et des enfants de l’Assistance Publique ». Il est devenu le gardien de la mémoire des « Petits Paris » élevés en Morvan.

C’est à l’initiative de l’écrivain Jean Genet, lui-même un ancien « petit Paris » élevé dans ce village que ce musée a vu le jour pour mettre à l’honneur les nourrices du Morvan.

J’étais bien loin d’imaginer que ces silhouettes d’enfant encapuchonnés témoignaient d’une histoire sociale qui se voulait heureuse mais qui a souvent été dramatique pour nombre d'enfants, une histoire qui a "nourri" le Morvan aux siècles passés.

Si le Morvan est pour beaucoup un lieu de vacances recherché pour sa quiétude, il n’était aux siècles derniers qu’une terre froide, difficile à travailler et peu productive.

Ses habitants ont de tout temps lutté pour leur survie. Les habitations morvandelles sont petites, vétustes, couvertes de chaume et mal chauffées. 

 

 

C'est l'industrie des nourrices morvandelles qui a procuré aux familles rurales des revenus inespérés.

D’aussi loin dans le temps qu’on le regarde, le Morvan a toujours été considéré comme une « terre de lait ». Les Romains rapportaient déjà que les Gauloises de Bibracte lavaient leurs seins dans une fontaine du Mont-Beuvray pour favoriser leur lactation. On sait aussi, plus près de nous qu'on confiait aux femmes de la région la mission de nourrir les enfants des familles riches et célèbres. C’est ainsi que la nourrice du fils de Napoléon, le futur Roi de Rome, a été choisie à Dun-les-Places et que celle du fils de Napoléon III venait d’Empury.

C'est cette renommée qui a fait qu’au XIXème siècle, on décida que ce serait dans ces villages du Morvan que seraient élevés les enfants pupilles de la nation de l’Assistance Publique de la région parisienne. Au fil des ans ce sont cinquante mille enfants qui ont été élevés dans le Morvan. Beaucoup d'entre eux y sont restés.

Les nourrices sur place

Ces nourrices sur place, qu’on appelait aussi les nourrices sèches étaient sélectionnées par la ville de Paris pour s’occuper des nourrissons orphelins ou abandonnés.
Les mères de famille choisies se rendaient à Paris pour prendre en charge l’enfant. Le voyage était long et difficile, empruntant le coche d’eau et la diligence. Les nourrissons, souvent fragiles, ne résistaient pas toujours au froid et aux aléas du voyage et mourraient en chemin. Ceux qui arrivaient à bon port étaient élevés dans une famille jusqu’à leurs douze ans.

 Celle-ci recevait une rémunération selon un tarif bien établi. 

Un système de bonus récompensait les familles qui favorisaient l’éducation de l‘enfant. Ainsi, lorsque l’enfant obtenait son certificat d’études, la famille recevait 50 francs. A 13 ans, l’enfant pouvait être placé, travaillait et gagnait un peu d’argent. La famille pouvait aussi le garder dans sa maison mais elle devait alors le rémunérer.

Le plus souvent l'enfant gardait un lien fort avec sa famille, allant même parfois jusqu'à épouser la fille ou le fils de la famille et reprendre l’activité du père.

 

Mais d’autres femmes morvandelles ont été des nourrices d'un autre type, les nourrices sur place.

Les nourrices sur lieu

Les femmes, solides et bien bâties profitaient de la naissance d’un enfant pour proposer leur service de nourrice auprès des familles riches des grandes villes.
Elles nourrissaient les enfants pour que leurs mères soient libérées de l’allaitement et des tabous qui y étaient liés. Elles étaient bien nourries, logées et chauffées et vêtues de vêtements neufs. Leur coiffes à rubans flottants étaient caractéristiquesOn prenait tellement soin de leur santé qu’elle avaient souvent du personnel qui leur était attaché pour leur éviter toute fatigue.

 

Elles étaient bien payées mais aussi et surtout, elles recevaient des cadeaux luxueux (porcelaine, draps et nappes brodés, lampes à pétrole etc)

Elles faisaient partie de la famille, suivant leurs maitres en vacances ou prenant le deuil quand un décès arrivait dans la famille. Certaines vivaient une vraie vie de château.

Elles se retrouvaient entre elles les après-midi pour un moment de détente. On voit ici qu'une servante s'occupe de l'enfant pendant que la nourrice s'occupe à des travaux " de dames".

Elles restaient en général placées pendant deux années, le temps du sevrage de l’enfant, avant de revenir dans leur village.

Elles y retrouvaient leur mari, souvent rustre, leur famille et leur jeune enfant confié pendant ces années à une grand-mère ou une sœur. Il arrivait qu'elle découvre à son arrivée que cet enfant était mort depuis longtemps. On lui avait soigneusement caché son décès car on avait peur que la mauvaise nouvelle perturbe sa lactation et qu’elle perde son travail et surtout la rémunération tellement attendue par toute la famille.

La nourrice revenait donc de sa « nourriture » avec un petit pécule. Elle pouvait désormais à améliorer le confort de sa famille en achetant une maison ou en agrandissant et modernisant la masure existante. On la couvrait d’ardoises à la place du chaume traditionnel. Ces maisons, plus grandes et plus modernes étaient communément appelées les « maisons de lait » puisque améliorées avec l'argent du lait..

La nourrice pouvait aussi acheter un lopin de terre, des bois et des prés qui allaient améliorer leurs revenus mais elle apportait surtout dans son foyer des habitudes de propreté et d’hygiène totalement inhabituelles dans la région.

La nourrice avait appris les bonnes manières de la famille dans laquelle elle avait vécu pendant deux ans. Ainsi les chaises remplaçaient les bancs, les nappes recouvraient les tables et les draps habillaient les lits. On disait malicieusement qu’on savait si une femme avait fait une « nourriture » à Paris, si elle proposait au visiteur une tasse de thé plutôt qu’un bol de café.

Faire plusieurs « nourritures » permettaient aux jeunes femmes de se constituer une petite fortune inespérée mais surtout d’occuper une place plus importante dans le foyer la libérant un peu du joug du mari.

L’industrie nourricière a permis le développement d’une classe de petits propriétaires rompant ainsi avec la vie rude de leurs ancêtres qui n'étaient pour la plupart que de simples journaliers.

Le biberon Robert
 
Les enfants élevés dans le Morvan par les nourrices sèches ou par les grands-mères étaient élevés au lait de vache, de chèvre ou d’ânesse. Les biberons de verre de l'époque étaient impossibles à nettoyer correctement, les bactéries s’y développaient provoquant la mort de nombreux bébés.

C'est un bourguignon, Edouard Robert qui inventa un biberon avec une tétine en caoutchouc et une bouteille lavable. pour en savoir plus :L'histoire du biberon Robert

Ce sera une révolution sanitaire car les bébés ne mourront plus. C'est ce biberon Robert qui va donner le terme argotique encore employé de nos jours, de « roberts » aux seins des femmes.

 

Histoire du biberon "L'épopée de la maison Robert" - Matriarka64

Je suis heureuse que ce court voyage en Morvan m'ait permis de découvrir cette page d'histoire sociale tellement particulière.

Merci de votre visite et surtout d'être arrivés jusqu'ici. Passez une bonne journée, ici ou là et prenez soin de vous.

 

Tanielie

On trouve sur le net de très nombreux renseignements sur les nourrices morvandelles. Les photos sont pour la plupart issues de ces sites.

L'histoire du biberon Robert

Les nourrices morvandelles de Lormes

Les nourrices du Morvan sur le site patrimoine du Morvan

Causette : les précieuses nourricières du Morvan

le Morvandiau Piat

 

 

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V
c'est passionnant cet article, merci! plein de détails que je ne connaissais pas, et le musée doit être intéressant!!! gros bisous. cathy
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M
Je connaissais ces histoires de nourrices qui ont existé à peu près dans toutes les campagnes en tous les cas pour les nourrices sur place. Toutes les familles riches prenaient une nourrice en Provence aussi, tout comme en Haute-Loire...où les conditions de vies dans les campagnes étaient rudes. Quand on cherche à comprendre l'histoire des villages et hameaux, et la raison d'autant d'école, on découvre qu'au sein des classes une belle proportion d'enfants étaient des enfants "étrangers" mis en nourrices ou ceux qui venaient vivre chez leur tante, grand-mère ou autre parce que leur mère était partie travailler en ville pour s'occuper d'autres enfants. Quoi qu'il en soit j'ai aimé lire les détails propres au Morvan, découvrir tes photos et surtout apprendre qu'un musée était consacré à ces petits enfants dont les silhouettes bleus en effet m'auraient interpelé moi-aussi si je les avais croisé. Bises et une très belle semaine
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